L’artiste

L'artiste

Je suis née en 1971, formation à l’école supérieure Estienne des arts et industries graphiques à Paris et dans l’école des Arts Décoratifs de Strasbourg. J’ai exposé dans différentes galeries (Michèle Broutta-Paris XVe, Fürstenberg- Paris VIe, Wégimont en Belgique, Monastère Santa Clara à Séville « hommage à Francisco de Zurbaran » en Espagne , l’Orangerie du Sénat été 2014 et juillet 2018, la Fondation Taylor en février 2019…Aussi l’Académie de France m’a soutenu en m’offrant une Résidence en tant que membre graveur à la Casa de Velázquez à Madrid (2012/2013) . Dés le début, j’étais attirée par les œuvres frissonnantes, délicatement vibrantes et tout en finesse, telles celles de Hans Bellmer, Rodolf Schlichter, Dominico Gnoli, Fred Deux et José Hernandez… J’aime la gravure, parce qu’elle va dans les détails chercher la vérité. Texture, peau, nervures, fibrilles ou poils me font l’effet d’une frontière fragile et décisive, la dernière avant la descente vertigineuse dans les profondeurs. Puis, le squelette devint à mes yeux l’architecture exemplaire du vivant et naturellement le support et le réceptacle organique de mes états d’âme : ainsi commença mon aventure avec les disséqués. J’aime la gravure, parce que ses délicates incisions au scalpel ont quelque chose du geste chirurgical, net, sans retour. Pour moi, la morsure du métal est comme une opération qui commence à la peau et se poursuit dans les obscurités d’encre et de sang de la matière.

Vous pouvez me retrouvez sur mon instagram :

Vidéodrome

La presse

La presse internationale

Mon curriculum vitae

Ma phrase fétiche : « Il faut porter du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse. » Nietzsche (Ainsi Parlait Zarathoustra).

Expositions personnelles
2022
Musée de Sonneville, Gradignan (Bordeaux) du 6 mai au19 juin
Chapelle des Pénitents bleus, La Ciotat du 18 février au 21mars
Centre culturel les Mazades, Toulouse du 10 janvier au 11 février
2021
Galerie Art Studio, Liège- Belgique du 18 septembre au 23 octobre
2020
Studio Guttenberg, New Jersey- USA
2019
Galeria Marisa Aldeguer, Mallorca- Spain
Fondation Taylor, Paris
2018
Orangerie du Sénat, Paris
Galerie Maznel, Saint-Valery-sur-Somme
Centre Culturel des Carmes, Langon
2017
Gallery The Fitzrovia, Londres- Royaume Unis
Centre d’Art de l’Abbaye de Beaulieu-en- Rouergue «Fantasque Fantastique» (hommage à Fred Deux)
Eglise Saint-Rémi, Bordeaux «Etats d’âme Encrés»

2015
Chapelle Saint-Sauveur, Saint-Malo
Collégiale Saint-Pierre le-Puellier, Orléans
2014
Orangerie du Sénat, Parc du Luxembourg, Paris
Orangerie du Sénat, Parc du Luxembourg, Paris
“Itinérance”, Domaine Départemental de la Garenne Lemot
“Itinérance”, Espace Pierre Cardin, Paris
“Hommage at F. Zurbaran” , Institut Cervantès, Bordeaux

2013
Exposition personnelle avec les œuvres de Francisco de Zurbarán,
Monasterio de Santa Clara, Sevilla, Espagne.
2012
Rosa Maria Concept Gallery, Beyrouth, Liban
Centre Culturel San Benito, Calatayud, Spain
Estampa, print fair, Matadero, Madrid

Prix
Premier prix Salon d’Automne en gravure, Paris, 2017
Prix international René Carcan. Belgique en 2018
Prix de la Gravure. Centre de la Louvière, Belgique, 2016
GRAV’X, Paris, 2013
Prix Jean Anouilh, Salon d’Automne, 2015

Voir mes gravures

Livre : Les disséqués

Un très beau texte offert par Marcel Moreau que j’ai eu l’honneur d’illustrer.

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sur les ondes

Des mots offerts sur mon travail

..Charlotte Massip ne laisse pas de nous étonner. Sa trajectoire, depuis les gravures de petit format du tout début, connaît de délicieux méandres sans pour autant sombrer dans l’errance.

Au bout de son chemin actuel on retrouvera ce qui fait sa spécificité : l’organique mêlé à l’horlogerie humaine, les corps réinventés depuis les maîtres anciens et classiques, en situation parmi les désastres de nos urbanités mécaniques et . Ce choix pourrait induire une morbidité de mauvais aloi. Mais c’est compter sans l’humour – proprement surréalisant – de Charlotte, qui transpose comme en se jouant notre sinistre condition. On trouvera dans ses estampes récentes un art consommé de la composition d’agrément, rouages et dentelles devenus motifs floraux pour une subtile décoration où chante la couleur et détourne des mauvais esprits.

Il n’est que de découvrir, aussi, ses boîtes lumineuses, véritables aquariums à visions, et ses papiers peints, aussi décoratifs dans le cadre domestique que surprenants sur le plan communément esthétique.

Les artistes mêlant narration imaginaire et agrément visuel sont rares aujourd’hui.

Il est vrai que cet exercice demande à la fois savoir-faire et talent.

Gageons que Charlotte Massip n’en manque pas !

 

En matière d’arts plastiques ou graphiques, il n’est guère aisé de franchir la ligne rouge du changement, du retournement total. Mais il peut être tout aussi difficile – et assez osé, dirais-je – de conserver sa manière d’origine, de préserver son expression de départ tout en changeant radicalement non seulement l’échelle du support, mais aussi sa fonction.

 

Charlotte Massip fut formée à l’école du petit format, ses orfèvreries imagées ne dépassaient pas en dimension les limites de deux mains réunies. Il est vrai que la matière gravée sur le cuivre offre des possibilités infinies en termes de ciselages savants, d’entrelacs et de broderies, de matières subtiles, et on a dès lors peine à imaginer que ces éléments de l’ordre de la lecture intime puissent être transposés sur des surfaces importantes.

 

C’est pourtant le cas aujourd’hui. Charlotte Massip a pris petit à petit conscience que ses images de formats modestes gravées sur le cuivre et bénéficiant de tous les apports techniques et expressifs qu’offrent l’eau-forte, l’aquatinte, le vernis mou et la pointe sèche pouvaient très bien s’accorder à une fonction domestique, le décor de chambres d’enfant, de salons, de lieux intimes de l’habitat.

  

Les gravures reportées sur des lais de papier mural et considérablement agrandies au moyen des procédés habituels de l’affiche gardent en effet toutes leurs qualités graphiques et plastiques. On en jugera en consultant sur son site internet les photographies de lieux d’habitation dont certains murs, un par chambre en général, comportent des détails agrandis de diverses estampes, achevées ou en cours de travail, et transformées en manière de fresques. Le résultat est bluffant, car l’agrandissement ne nuit pas à l’ambiance si particulière des images oniriques et poétiques de l’artiste.

 

 On se souvient de ce que je nommais naguère les aquariums à visions de Charlotte, les boîtes lumineuses où des fragments transparents d’estampes coloriées étaient agencés comme en vitrine et dévolus à l’accrochage décoratif.

C’est à partir de ces boîtes que l’idée est venue à Charlotte de faire vivre son monde si particulier en intérieur privé, notamment avec la décoration de pans de murs entiers.

 

Et puis suivront bientôt les décorations d’assiettes que l’on peut d’ores et déjà admirer en projet sur le site, et que l’on reliera évidemment à la pratique d’autres artistes du passé, Matisse, Braque ou Picasso.

Mais là, c’est du Charlotte, évidemment, et ce n’est pas moins délicieux et enchanteur.

 

Georges Rubel

…Charlotte est une aquarelliste qui grave Jekill doublée d’une graveuse qui aquarelle Hyde. J’exagère. La vérité, c’est qu’elle marie à merveille l’incision et l’effleurement, la caresse et la morsure. Y aurait-il, dans ces mots définition plus délicieuse du génie de séduire?

…Charlotte, elle, me comprendra sûrement. La preuve : elle dissèque comme elle respire, en congédiant toute la monotonie du monde. Ses disséqués, elle les amuse, les tourneboule, les bringuebale, les irise, au gré de ses caprices anatomiques, et quand j’écris « caprices », j’entends aussi une musique. Ses disséqués, elle les réopère, avec des tire-bouchons cette fois, ou des amulettes, ou encore des prothèses baroques, héritées de je ne sais quel carnaval moyenâgeux, du temps où les éclopés dansaient au bras des ingambes.

Marcel Moreau « Mes, drôles, de disséqués » extrait paru dans ARTENSION n°7

…À la recherche à la fois joyeuse et désespérée de son propre corps, contenant obligé d’un être menacé de trop de tentations, douloureusement éprouvé ou secoué d’allégresse selon les circonstances chahuteuses de sa vie, Charlotte travailleuse – thérapeute d’elle-même – cisèle et ornemente, figure ou défigure, éparpille ou assemble, dissèque ou mécanise ses propres restes, présents ou à venir.

Ces véhémentes opérations ne vont pas sans de nombreux emprunts et références : l’époque est gourmande d’elle-même, de sa culture ancienne et récente, et l’accès à toutes les images et à tous les livres est ouvert à cette avide lectrice : Michel-Ange et Cranach sont de la partie, et, à y regarder de plus près, il est d’autres citations perfides, d’époques diverses venues, entremêlées en un écheveau de dentelles, qui valent elles aussi un détour attentif.

La composition finale sera comme la reconstitution inquiète d’un puzzle aux pièces finement ouvragées : l’image totale – le corps entier reconstitué, retrouvé – ne sera lisible que lors de l’agencement vertical des cadres, à la façon d’une prédelle ancienne que l’on aurait malicieusement redressée, ou d’une bande dessinée : voici enfin, après bien des détours, l’artiste placé face à soi-même. Un soi-même temporaire, fort heureusement, et le processus n’est, pour le plaisir du regardeur que nous sommes, jamais interrompu. D’autres miroirs malins sont à venir.

Georges Rubel extrait paru dans l’Univers des Arts

Les gravures de Charlotte Massip

Je vois pour la première fois les gravures de Charlotte Massip dans l’atelier Ogami Press que dirige Juan Lara. Surprise, admiration, inquiétude, sensualité , beauté. Une imagination sans préjugés bouillonne et court le long des traits mordus par l’acide, brûlures sinueuses d’un feu intérieur qui apparaît dans une lecture verticale. Echos antiques, atlantes et cariatides, qui jadis soutinrent l’architrave des cieux.

Et ces corps, ces êtres que nous offre Charlotte Massip nous montrent avec indifférence et sans pudeur leur anatomie, leurs organes, leur sexe, leurs cartilages, leurs os. « Réceptacles organiques de mes états d’âme. » dit l’artiste. Êtres étranges, en tout cas, venus d’une héraldique surréaliste et baroque, une mythologie intime et personnelle qui se nourrit aussi d’une tradition à laquelle Charlotte donne prénoms et noms: Hans Bellmer, Richt Miller, Rudolf Schlitter, Fred Deux, Domenico Gnoli, Jose Hernandez, André Breton, Georges Bataille, Mikhail Boulgakov,…phares de sa formation qui illuminent de loin ces corps qui se savent mortels, condamnés à la décomposition, et qui gardent la mémoire du plaisir et de la douleur, de l’impermanence et de l’absurde, du solennel et du grotesque; corps aux têtes de papillons, ou de bateaux, squelettes décharnés qui chaussent de vieux souliers, mots de passe de voyageurs infatigables, entre la vie et la mort, ou de vagabonds d’un rêve qui se décompose, comme dans un kaléidoscope, tous aussi nets et précis. Expression de l’amour du détail dans le travail de cette artiste et révélation matérielle, d’un geste fort et décidé de la pointe, le dialogue incertain entre le penser et le faire.

Et en clignant des yeux entre ces lignes et ces taches, nous découvrons la peur, l’insolite, le hasard, le voyage, le luxe, le danger, le sexe, un sortilège élégant qui à la fois nous attire et nous repousse. Un univers logé dans le royaume du fantastique et du merveilleux, un imaginaire qui se cristallise en le salve et coagula d’une puissante force émotive et d’une réalité raffinée et poétique.

Parce-qu’inévitablement et sans échappatoire nous comprenons que, dans les estampes de Charlotte Massip, frémit une énigme profonde, un mystère que nous ne déchiffrerons jamais, un arcane qui (comme nous en avertit finalement Charlotte), a son origine et son fondement dans l’encre et le sang de la matière, autre société secrète.

Carlos Garcia-Alix

Madrid, 4 février 2013

Morsures du temps

Elle souhaitait rédiger un texte sur sa pratique, son parcours, les rencontres qui ont compté. Charlotte Massip, a finalement confié sa plume et ses mots à une amie. A deux, elles ont remonté le temps, rouvert les carnets de souvenirs, croisé les illustres du burin, de la pointe, de la presse et des Lettres, les Maîtres de cette néo-bordelaise, graveuse en taille-douce.

On questionne l’année nouvelle, ses rendez-vous prévisibles, sa délicieuse part d’inconnu et son lot de résolutions. Charlotte a rendez-vous avec le dessin. C’est décidé, elle va reprendre ses stylos-bille. Elle va coller et peindre peut-être.

Charlotte grave depuis l’Ecole supérieure d’imprimerie Estienne à Paris. Toute fraîche bachelière qu’elle est, la demoiselle découvre les plaques de cuivre, les morsures et les incisions. Mais Charlotte regrette le dessin. 1991, direction les Arts déco de Strasbourg et les cours de Claude Lapointe. Charlotte observe ses comparses qui manient la gouache. Laborieuse, elle ne quitte pas ses stylos bic qui l’accompagnent depuis ses plus jeunes années.

Flash back. Quand elle ne vole pas accrochée à l’aéronef familial, la petite parisienne aux boucles folles dévore les livres d’art et déniche des planches anatomiques chez les bouquinistes. Ses fugues l’emportent dans la ville en mouvements. Un plan de métro en main, elle court les rues, rien n’y est statique, tout est source de création. Ciment et pots de peinture façonnent l’expression de l’adolescente, Tapiès est son premier Maître. Ce tourbillon se heurte à une injonction paternelle. Son architecte de père lui intime l’ordre de dessiner. Elle s’exécute.

En détail

Puis un choc : Fred Deux qui la « révèle » et Domenico Gnoli. C’est le temps du détail, de l’hyperréalisme, des feuilles à l’infini « remplies de mailles, de fils et de bouts de ficelle ». Le dessin lui impose une concentration nouvelle, lui offre une respiration, « un état méditatif ». Elle s’assied. Dans les cafés, au théâtre, elle croque. « J’ai l’impression que je regarde, que j’écoute mieux avec mon carnet en main. En dessinant je m’approche, je touche l’acteur ou le musicien. » Charlotte a 15 ans, elle lit Breton, Bataille et découvre Hans Bellmer.

Après Paris et Strasbourg, la jeune artiste fait escale aux Baléares. Le dessin est son métier, dix années durant. Pieds nus sur le pont d’un vieux gréement, Charlotte honore des commandes. Palmiers majestueux, hôtels grandioses et cathédrale gothique de Palma se couchent au recto de cartes postales. Aujourd’hui encore, la lumière et la chaleur de Majorque accueillent Charlotte lorsque l’envie point.

Corps ouverts

Le retour continental est parisien. Un voisin imprimeur se fait connaître. Charlotte grave et vend ses petits formats non loin du Canal Saint-Martin, « un encouragement ». Commence le temps des corps incisés, révélés, « mes disséqués ». L’anatomie et les autopsies du savant André Vésale sont convoquées, ainsi que les chairs nues et le geste puissant de Fragonard. L’écriture incisive et sensuelle de Marcel Moreau l’accompagne au plus profond de cette exploration.

— Je touche tellement de choses, depuis que ma peau s’en est allée, que je touche à l’indicible de la genèse. Je touche au vernis du paraître, qui ne dure que ce que durent les illusions, je le craquèle, je le saigne, je le lynche, je le pollue nerveusement de ma chromatique intramusculaire et autres trésors exhumés des fonds de corps liquéfiés d’orgasmes, état résumé ainsi par Michaux : « Connaissance par les gouffres ». — (Extrait. Les disséqués de Charlotte Massip. Marcel Moreau).

Bonheur, « honneur », la Casa de Velazquez à Madrid ( Académie de France) lui ouvre ses portes pour une année en résidence. Rencontres qui comptent de deux imprimeurs : Juan Lara et Julio León. « Ils m’ont apporté des clés pour avancer » – la photogravure est l’une d’entre elles – , eux qui lisent la plaque, la caressent, « pour révéler la vérité. En creux ». Charlotte s’attaque à des grands formats, une série de saintes martyres, grâces baroques. Les corps des Saintes Agueda, Justa, Rufina, Inès, Ursula, Lucia et Margarita, du haut de leur 1.80 mètre, laissent entrevoir organes, os, supplices et monstres dévoreurs d’entrailles.

A propos de ces souffrances féminines l’artiste se livre. Ces intérieurs révélés, torturés racontent le mal, l’incompréhension, la violence qui s’imposent, là même où s’exprimaient le désir et la beauté. Alors la maternité déchire, l’amour ronge et déchire. Alors la plaque est une thérapie, un corps à corps. Avec minutie, dans l’extrême lenteur du détail, mentalement, les mots se posent à mesure que la plaque est rayée, manipulée, que l’acide entre en scène. « Mon paysage, c’est le corps humain ». Et Charlotte de se plonger dans ces tripes, ces noirs et ces ombres.

A Bordeaux où le vent l’a portée récemment, Charlotte a fait la connaissance du graveur Philippe Mohlitz. Elle dit sa fascination pour les dessins à la pointe sèche, les trais burinés de cet orfèvre fantastique, et se souvient de José Hernandez, dont un portrait monstrueux orne un mur du salon.

Elle dit aussi qu’elle perçoit une énergie nouvelle et colorée. Charlotte veut dessiner. La peur la tiraille, c’est un défi. Elle rêve d’abstraction et se projette. Plus tard, dans très longtemps, elle s’imagine sans table, ni chambre, dehors, aux prises avec une autre échelle, celle de la nature. Les corps des hommes, des femmes s’y exprimeront-ils toujours ? D’autres forces assurément peupleront les paysages de l’artiste.

Pour l’heure, Charlotte se prépare à un important rendez-vous. Heureux hasard, c’est aux côtés de Fred Deux que l’on va la retrouver au printemps, en l’abbaye de Beaulieu-en-Rouergue. Pour un hommage à celui qui, rappelons-le, l’a révélée.

Anne Cesbron-Fourrier

Texte paru dans ACTUEL de l’estampe contemporaine n°10

Dans le secret de l’atelier de Charlotte Massip

L’infâme vivisecteur pris à son propre piège

Parfois, la vie me réserve des émotions de trente-six carats, les chandelles n’étant plus de mode. Ah si seulement, quand me vient une telle émotion, je pouvais me la passer au doigt, ne serait-ce pour qu‘en jouisse mes yeux… Après tout, ils ont le droit, eux aussi, à l’extase. Mais une émotion, est-ce que cela se taille, est-ce que cela se cisèle ? Hélas non. Une émotion coule. Elle ne sait rien faire que ça : couler. Et même en poésie, les grands orfèvres ont beau vous changer quelques petites sonorités de rien du tout en parures alexandrines, il ne faut pas s’y tromper: ce ne sont que ruissellements.

Ce jour-là, quand je pénétrai dans l’atelier de Charlotte Massip, c’est d’abord elle que je contemplai, tout en me décomposant, avant fluidification. J’avais devant moi tout l’art d’être une femme.

Adieu Louvre, Prado, Ermitage, Guggenheim, Pinacothèques en pagaille. Pour paraphraser Mallarmé, je me suis dit : « J’ai vu tous les musées et la Charlotte n’est pas triste ». Soudain, son sourire me mit un collier autour du cou. Je n’avais plus qu’à obéir à la laisse. Et c’est ainsi que commença ma tournée de son imaginaire.

Je précise, et bien que dans le cas présent, j’eusse préféré donner la parole à la splendide inexactitude de mon émotion de trente-six carats, je précise donc ceci : Charlotte est une aquarelliste qui grave Jekill doublée d’une graveuse qui aquarelle Hyde. J’exagère. La vérité, c’est qu’elle marie à merveille l’incision et l’effleurement, la caresse et la morsure. Y aurait-il, dans ces mots définition plus délicieuse du génie de séduire ? Je ne crois pas. Mais ce n’est pas tout. Je n’étais pas au bout de ma surprise par elle rendue divine. Elle n’avait gravé, plus coloré, que des disséqués. Or, le disséqué est quelqu’un que je connais très bien. N’ai-je pas moi-même, tout au long de ma vie, pratiqué sur nombre de mes chers semblables cette austère, quoique exquise, discipline ?

Je n’avais d’ailleurs pas attendu qu’ils crevassent pour jouer de mon scalpel psychologique comme de mes prélèvements lyriques. Oui, en fait, et je l’avoue, je fus un infâme vivisecteur, y compris de ma propre nature, ce qui devrait me valoir la clémence de mes juges, le jour venu. De plus, mes expériences s’exerçaient en général sur des espèces d’humanoïdes dont le moins que je puisse penser est que de leur vivant ils avaient voulu ma mort. Où était le mal ?

Charlotte, elle, me comprendra sûrement. La preuve : elle dissèque comme elle respire, en congédiant toute la monotonie du monde. Ses disséqués, elle les amuse, les tourneboule, les bringuebale, les irise, au gré de ses caprices anatomiques, et quand j’écris « caprices », j’entends aussi une musique. Ses disséqués, elle les réopère, avec des tire-bouchons cette fois, ou des amulettes, ou encore des prothèses baroques, héritées de je ne sais quel carnaval moyenâgeux, du temps où les éclopés dansaient au bras des ingambes.

A ce rythme-là, longtemps après la péritonite, qui s’avéra fatale, les entrailles remuent encore, étrangement. La radiographie était mauvaise, et même funeste ; la kaléidoscopie sera bonne, et même prometteuse. Jusqu’aux ventres à tout jamais arides, ils semblent faire un peu de place à des fœtus pelotonnés. C’est pour demain, peut-être, leur grand saut dans l’inconnu.

Quand aux os, je les trouve pathétiques. J’ai envie de compatir à leur solitude de dépiautés longilignes. Au fond, leur histoire est tragique. Pendant des siècles, ces Atlantes et Caryatides du dedans portèrent stoïquement le poids de la chair humaine, gloutonne, salace et périssable. Les voici désœuvrés, médullaires en vain. Mais non, je ne compatirai pas. Au fond, ils ont de la chance. Grâce à Charlotte, ils cliquettent de polychromie romane…

Je m’apprêtais à la quitter lorsqu’elle m’a murmuré : « Je vais vous disséquer, vous voulez bien ? » En cet instant, mon regard dans le sien, j’aurai pu tout signer, et entre autres, si elle me l’avait demandé, la déportation des étoiles, moins une.

Marcel Moreau

CIMAISE memo art n° 268 janvier 2002, page 42

 

En matière d’arts plastiques ou graphiques, il n’est guère aisé de franchir la ligne rouge du changement, du retournement total. Mais il peut être tout aussi difficile – et assez osé, dirais-je – de conserver sa manière d’origine, de préserver son expression de départ tout en changeant radicalement non seulement l’échelle du support, mais aussi sa fonction.

 

Charlotte Massip fut formée à l’école du petit format, ses orfèvreries imagées ne dépassaient pas en dimension les limites de deux mains réunies. Il est vrai que la matière gravée sur le cuivre offre des possibilités infinies en termes de ciselages savants, d’entrelacs et de broderies, de matières subtiles, et on a dès lors peine à imaginer que ces éléments de l’ordre de la lecture intime puissent être transposés sur des surfaces importantes.

 

C’est pourtant le cas aujourd’hui. Charlotte Massip a pris petit à petit conscience que ses images de formats modestes gravées sur le cuivre et bénéficiant de tous les apports techniques et expressifs qu’offrent l’eau-forte, l’aquatinte, le vernis mou et la pointe sèche pouvaient très bien s’accorder à une fonction domestique, le décor de chambres d’enfant, de salons, de lieux intimes de l’habitat.

  

Les gravures reportées sur des lais de papier mural et considérablement agrandies au moyen des procédés habituels de l’affiche gardent en effet toutes leurs qualités graphiques et plastiques. On en jugera en consultant sur son site internet les photographies de lieux d’habitation dont certains murs, un par chambre en général, comportent des détails agrandis de diverses estampes, achevées ou en cours de travail, et transformées en manière de fresques. Le résultat est bluffant, car l’agrandissement ne nuit pas à l’ambiance si particulière des images oniriques et poétiques de l’artiste.

 

 On se souvient de ce que je nommais naguère les aquariums à visions de Charlotte, les boîtes lumineuses où des fragments transparents d’estampes coloriées étaient agencés comme en vitrine et dévolus à l’accrochage décoratif.

C’est à partir de ces boîtes que l’idée est venue à Charlotte de faire vivre son monde si particulier en intérieur privé, notamment avec la décoration de pans de murs entiers.

 

Et puis suivront bientôt les décorations d’assiettes que l’on peut d’ores et déjà admirer en projet sur le site, et que l’on reliera évidemment à la pratique d’autres artistes du passé, Matisse, Braque ou Picasso.

Mais là, c’est du Charlotte, évidemment, et ce n’est pas moins délicieux et enchanteur.

 

Georges Rubel

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